Mutualisation des risques climatiques : les pistes de réforme du Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan

Face à l’accélération manifeste du changement climatique, il devient impératif d’anticiper les risques associés aux périls naturels et de structurer une réponse collective efficace. En France, entre 2019 et 2023, le coût annuel moyen des sinistres liés aux événements naturels pour les biens des particuliers et des professionnels est estimé entre 4 et 4,5 milliards d’euros. Parmi ces sinistres, 1,8 à 2,3 milliards d’euros seraient liés aux catastrophes naturelles et environ 2,2 milliards aux événements tempête, grêle et neige (TGN). Ces niveaux dépassent déjà de 10 à 20 % la moyenne observée au cours des quarante dernières années, estimée à 3,7 milliards d’euros par an. Cette sinistralité s’accompagne également d’une hausse de variabilité : à titre d’exemple, la sécheresse de 2022 a engendré à elle seule un coût estimé entre 3 et 3,5 milliards d’euros. C’était dans ce contexte que le rapport Lavarde, publié en mai 2024, nous indiquait que le coût moyen des sinistres devrait augmenter d’au moins 40% d’ici 2050. Bien que les assureurs disposent de données de plus en plus fines sur leurs expositions, cette montée en expertise ne s’est pas encore traduite à ce jour par des décisions opérationnelles concrètes. En France, ce constat est symptomatique d’une inertie persistante quant à la sensibilisation au risque climatique : notre dynamique nationale n’a pas changé depuis 1982 comme le précisait Benjamin Ferras dans le cadre de la conférence « Faut-il repenser la mutualisation des risques climatiques ? », à laquelle Nexialog et ses experts climat ont assisté le 16 juin dernier.

Cette conférence était proposée comme complément au rapport « Repenser la mutualisation des risques climatiques », publié, quelques jours plus tôt, par le Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan. Ce rapport a pour but d’exposer à titre prospectif trois scénarios d’évolution du système assurantiel Français dans un objectif d’adaptation aux risques climatiques. C’est dans ce cadre que la conférence a réuni deux panels pluridisciplinaires, composés notamment de spécialistes de l’assurance, des risques climatiques et de la protection sociale, pour débattre sur les actions nationales à mener, vues par le prisme de trois pistes de réformes de restructuration du système de gestion et de mutualisation des risques naturels.

En France, le dispositif de gestion des risques climatiques est aujourd’hui centré sur le régime des catastrophes naturelles (régime Cat Nat). Cette dynamique repose certes sur une logique solidaire mais montre certaines limites : surprimes fondées sur des arbitrages politiques plutôt que sur des bases objectives, prééminence de la réparation sur la prévention, inégalités d’accès à l’assurance, surexposition de certains ménages aux risques, couverture lacunaire de certains aléas, etc.

Dans ce contexte, l’objectif des travaux menés par le Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan est triple : mieux quantifier les sinistres, établir une cartographie fiable et centralisée des risques, et poser les fondements de réformes permettant un mécanisme de mutualisation davantage ancré dans le contexte climatique à venir. Ces objectifs font d’ailleurs écho à l’effort de refonte qui a été engagé quelques mois plus tôt par le biais du troisième Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC-3). De la part de notre gouvernement, cela confirme le désir de tracer de nouvelles lignes de conduite permettant d’aligner actions, ambitions et devoir d’adaptation, et c’est dans ce cadre que les trois scénarios du Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan sont proposés.

 

Présentation détaillée des trois scénarios

Ces scénarios sont trois systèmes hypothétiques de réforme à échelle nationale, plus ou moins disruptifs et comportant chacun des mesures propres à leur paradigme. Chacun visant, à sa manière, à préparer au mieux le pays aux conséquences de l’évolution à venir des périls climatiques sur notre territoire.

Scénario 1 : l’État régulateur, un cadre partagé entre public et privé

Ce premier scénario envisage un renforcement du rôle de l’État en tant que régulateur du marché de l’assurance contre les risques climatiques. Dans cette configuration, l’État ne se substitue pas aux acteurs privés, mais organise la répartition des responsabilités entre les assureurs et la puissance publique. Il pourrait encadrer plus strictement les conditions de couverture, homogénéiser certaines pratiques, voire fixer les modalités de solidarité financière. L’objectif est d’instaurer un cadre cohérent, équitable et pérenne dans un contexte où les risques climatiques deviennent de plus en plus fréquents et coûteux, tout en conservant l’agilité du secteur privé pour l’innovation assurantielle.

Ce scénario bouscule ainsi l’ordre établi en imposant un cadre plus contraignant aux assureurs, avec des règles communes, une cartographie centralisée, voire une modulation des primes encadrée.

Scénario 2 : l’État garant, spécialisation par type de risque

Dans cette deuxième option, l’État jouerait le rôle de garant, en retirant certains risques particulièrement sensibles (comme la sécheresse ou le retrait-gonflement des argiles) du régime Cat Nat actuel pour les intégrer dans des fonds publics dédiés, à l’image du Fonds Barnier. Ce modèle permettrait de mieux adapter les mécanismes de couverture à la nature spécifique de chaque aléa, et de créer des instruments financiers spécialisés, potentiellement plus efficaces. L’assurance privée continuerait d’intervenir sur d’autres volets, mais avec un recentrage clair de la solidarité publique sur les risques devenus difficilement mutualisables ou inassurables par le marché.

Ce scénario introduit ainsi une rupture sectorielle, en externalisant certains aléas dans des fonds dédiés, créant une assurance à géométrie variable selon les types de risques.

Scénario 3 : l’État assureur, vers une Sécurité sociale du climat

Le troisième scénario propose une refonte radicale du système actuel en instaurant un régime public unifié d’assurance contre les catastrophes naturelles, sur un modèle proche de celui de la Sécurité sociale. L’État deviendrait ainsi l’assureur en dernier ressort, voire le seul, garantissant une couverture universelle fondée sur des principes de solidarité nationale. Ce modèle permettrait une prise en charge systémique et égalitaire des dommages climatiques, indépendante de la logique assurantielle traditionnelle.

Ce scénario cependant est le plus radical : il envisage une sécurité sociale du climat, où le risque est totalement socialisé, rompant avec les mécanismes classiques de mutualisation conditionnée à l’exposition et au comportement. Ce troisième scénario suscite certaines réticences. Il est notamment qualifié par Thierry Langreney, président de l’ONG environnementale « Les Ateliers du Futur », de scénario « repoussoir ». Ce scénario répond certes à une nécessité grandissante : préserver la soutenabilité du système assurantiel face au risque de catastrophe généralisée, mais il est de loin le plus inédit et le plus disruptif, soulevant ainsi de nombreux questionnements et réactions de la part des acteurs des métiers de l’assurance.

 

Les trois scénarios envisagés pour repenser la mutualisation des risques climatiques challengent, à des degrés différents, les fondements du modèle assurantiel actuel, basé sur une cohabitation entre l’assurance privée et un soutien public ponctuel via le régime Cat Nat. Leur caractère disruptif tient d’abord à la redéfinition du rôle de l’État, non plus simple garant ou payeur en dernier ressort, mais potentiellement acteur central ou exclusif de l’assurance climatique. Cela impliquerait une réorganisation profonde des responsabilités entre acteurs publics et privés, un changement de paradigme dans le financement des risques, et une transformation de la relation entre citoyens, territoires et assurance.

Comment passer de visions prospectives à actions concrètes

Nous pouvons nous interroger sur la capacité qu’auront l’ensemble des partis pris (État, assureurs, etc.) traduire ces scénarios en actions concrètes. Pour l’heure, ce rapport se concentre sur les grands principes à poser, sans en détailler les modalités de mise en œuvre. Certains leviers d’action émergent néanmoins : l’amélioration de la cartographie des risques est présentée, pour chacun des scénarios, comme un levier central, permettant de mieux anticiper, répartir les risques de manière équitable et adapter la mutualisation. La création de fonds dédiés est envisagée dans le scénario de l’État garant, notamment pour sortir certains risques du régime général, comme la sécheresse, et les traiter séparément (à l’image du Fonds Barnier). Si les trois scénarios dessinent des trajectoires distinctes, tous convergent vers une même exigence : mieux anticiper les risques, renforcer la cohérence du système et engager une réflexion systémique sur l’avenir du régime de mutualisation face au changement climatique. Leur traduction concrète reste cependant à construire collectivement et surtout en phase avec la réalité actuelle du secteur de l’assurance.

Mutualisation Des Risques Nexialog

Le scénario 3, qui propose la création d’un régime public unifié d’assurance climatique, peut sembler séduisant par son ambition solidaire, mais il soulève de nombreuses difficultés. Un tel modèle, inspiré par la Sécurité sociale, nécessiterait une réorganisation complète du système assurantiel français. En centralisant la couverture des risques sans distinction territoriale ni incitation comportementale, ce troisième scénario risque de décorréler l’exposition au risque et la responsabilité individuelle, encourageant certains à s’installer ou à construire dans des zones vulnérables sans tenir compte des aléas. Or, c’est précisément ce mécanisme que l’on cherche aujourd’hui à éviter.

Plutôt que d’amplifier les mécanismes de réparation a posteriori, il est urgent de mettre l’accent sur la prévention, à travers une cartographie fine, partagée et cohérente des risques, des normes de construction adaptées, et une véritable sensibilisation au risque naturel comme cela a été mentionné par Edouard Vieillefond, directeur de la CCR au cours de la conférence « Faut-il repenser la mutualisation des risques climatiques ? ». Sans ce basculement stratégique, aucune réforme structurelle, aussi ambitieuse soit-elle, ne pourra répondre durablement à l’ampleur des défis climatiques à venir.

Concernant cette notion de prévention et de prise de conscience du risque, certaines visions peuvent se nuancer. Par exemple, Pascal Demurger, Directeur de la MAIF, pense effectivement qu’ « il y a une prise de conscience de la part des différentes catégories d'acteurs (assurés et assureurs) », tandis qu’Arnaud Chneiweiss, médiateur de l’assurance, nuance en répondant que « si cette prise de conscience est là alors elle ne se traduit pas encore par des actions concrètes » et que cela pose un problème. Selon lui, il faudrait instaurer toute une sensibilisation au risque naturel dans notre pays et nous devrions régulièrement effectuer des exercices de simulation concrets des risques pour que l’on sache les bons réflexes à adopter en cas de réelle catastrophe. Cette prévention pourrait ainsi se traduire de deux manières différentes :

  • D'une manière abstraite c’est-à-dire que l’on donnerait (à l’image des préventions de santé classique) le minimum des gestes à adopter en cas de catastrophes pour limiter les pertes.
  • D’une manière plus concrète et quantifiable en anticipant directement les conséquences qu’une action (ou non-action) pourrait éventuellement engendrer.

Cette question de prévention était également mise en avant dans le rapport Langreney, sorti en juillet 2024, qui avait pour but de « prévoir des mesures majeures pour faire face à une augmentation des coûts des dommages causés par les phénomènes climatiques d'ici à 2050 ». Ce rapport s’articulait autour de trois grands axes : adaptation, prévention et atténuation, afin de rééquilibrer le régime le plus rapidement possible. Ce sont les mêmes principes que l’on peut ainsi retrouver dans ce dernier rapport sur la mutualisation des risques climatiques.

L'enjeu Des Zones Inassurables

L’enjeu des zones « inassurables »

L’un des débats de fond est également la gestion des zones géographiques pour lesquelles il est de plus en plus difficile d’assurer certains périls. Selon Edouard Vieillefond « Quand on dit inassurable, cela signifie qu’il faut une aide et que l’on va arriver à assurer le risque grâce à cette aide ». Cela est parfaitement illustré par la réassurance publique, via la Caisse Centrale de Réassurance qui se substitue à l'assureur/réassureur dans le cas d'une survenance Cat Nat, et qui est elle-même réassurée par l’Etat. Tous les aléas ne sont pas assurables de la même manière : certains, comme le retrait de côte ou le RGA, relèvent de la certitude géologique. D'autres, comme la tempête, grêle, neige (TGN), sont aléatoires mais encore gérables par l’assurance privée, contrairement aux catastrophes naturelles, qui nécessitent une solidarité publique. Dans certains territoires, les risques deviennent si élevés que les assureurs commencent à se retirer, créant parfois, selon Thierry Langreney, « un mouvement de fuite sur les territoires les plus risqués », bien que les données chiffrées manquent encore pour en mesurer l’ampleur, ces données pourraient être disponibles dans un futur proche, grâce à la CCR. Selon M. Langreney, il serait prématuré d’envisager le scénario d’un régime public généralisé (Scénario 3), que plusieurs qualifient d’ailleurs de « catastrophe assurantielle », tant que toutes les possibilités de responsabilisation individuelle et de régulation incitative n’ont pas été explorées. 

C’est également l’avis de Florence Lustman, présidente de France Assureurs, qui qualifie par le même terme ce scénario dans un article publié dans L’Argus de l’assurance. La réticence des assureurs à couvrir certains risques s’explique aussi par des logiques économiques évidentes : même en augmentant de manière radicale les primes sur certains périls et secteurs, cela ne permettrait pas de compenser certains types de sinistres dont l’ampleur est de plus en plus importante et récurrente.

Bilan

Le régime actuel français, inchangé depuis 1982, doit être adapté pour répondre aux défis du changement climatique. L’État doit être prêt à gérer des catastrophes dépassant les dizaines de milliards d’euros, en s’appuyant sur une politique de prévention efficace, une cartographie intelligente et une mutualisation du risque.

Selon certains experts comme Thierry Langreney, « une France à +4 °C reste assurable si les bonnes mesures sont prises dès maintenant ». Selon Magali Reghezza-Zitt, maître de conférences en géographie, en détachement à la Cour des comptes : les changements structurels qui s’imposent seront dans tous les cas très complexes à mettre en œuvre, tant les changements sur notre mode de vie seront disruptifs par leur importance et leur mise en place rapide. M.Langreney estime tout de même qu’il est logique que les assureurs fuient les zones à risque car il est de leur devoir de maintenir un équilibre dans leur compte. Maintenir une prime assurantielle abordable n’est parfois plus compatible avec la sévérité croissante de certains périls.

Le modèle actuel français reste néanmoins très performant. Christine Lavarde, sénatrice des Hauts de Seine, mentionnait lors de la conférence que même en étant prêt à repartir d’une feuille blanche, elle et son groupe de travail sont arrivés à la conclusion que le régime actuel est le meilleur qui puisse exister et qu’il fait déjà « largement la place à la mutualisation du risque et aussi à une sorte de sociabilisation » car il y a des assurés qui payent beaucoup à cause de la valeur de ce qu’ils assurent alors que le risque qu’ils portent individuellement est presque nul et ceci compense pour les assurés qui se trouvent dans la situation inverse, illustrant ainsi le côté mutualiste du régime actuel.

En parallèle de ces réflexions, serait également envisageable un scénario « 3 bis » hybride, où l’État ne serait pas assureur unique, mais viendrait subventionner une partie de la couverture assurantielle pour les populations ou territoires les plus exposés et à risque. Une telle approche, ciblée et proportionnée, permettrait de concilier équité sociale et efficacité économique. En réalité, ce type de mécanisme pourrait s’analyser non pas comme une dépense, mais comme un investissement public stratégique, susceptible de réduire, à moyen ou long terme, les coûts des sinistres futurs grâce à une meilleure résilience des territoires.

Enfin, l’écart persistant entre la formulation de lignes directrices structurantes et leur mise en œuvre opérationnelle reste un défi majeur à relever. Ces dernières années ont montré que certaines recommandations peuvent trouver une traduction concrète lorsqu’elles s’intègrent correctement dans les dynamiques assurantielles. Ceci a notamment pu être illustré par l’adoption de la proposition du rapport Lavarde sur l’augmentation du Fonds Barnier via le PNACC-3. Il semble donc nécessaire de rester activement à l’écoute des potentielles transcriptions à venir de ces trois scénarios prospectifs en mesures concrètement actionnables sur le marché de l’assurance.

Auteurs

Hugo Rapior Actuarial Services Nexialog

Hugo RAPIOR

Responsable de programme R&D

Léo LOVISOLO Nexialog

Léo LOVISOLO

Consultant Senior

BU Actuarial Services

Mathis BLANCHOT Nexialog

Mathis BLANCHOT

Stagiaire R&D