Variabilité Des Fonds Propres En Europe Progrès Et Défis Selon Le Rapport De L’exercice De Benchmark Crédit De L’EBA 2024

L’exercice annuel de benchmarking publié par l’Autorité bancaire européenne (EBA) le 13 mars 2025 souligne les avancées dans la réduction des écarts méthodologiques dans l’estimation des exigences en fonds propres selon l'approche IRB (Internal Ratings-Based), sur la période 2015-2024. Ce cadre réglementaire permet aux banques d’utiliser leurs propres estimations internes pour calculer leurs besoins en capital face aux risques de crédit. Toutefois, des écarts importants subsistent dans les méthodologies d’estimation des paramètres. Si les progrès sur les probabilités de défaut (PD) sont indéniables, la variabilité persistante des pertes en cas de défaut (LGD) reste un enjeu majeur. Quelles sont les causes de cette variabilité et comment harmoniser complètement les pratiques ? Le rapport dresse un bilan des progrès et défis sur les principaux indicateurs : PD, LGD, EAD (Exposition en cas de Défaut) et RWA (Actifs pondérés par les risques).

I. Réduction de la variabilité des PD

Depuis 2016, l'application du programme IRB de l’EBA a permis une baisse significative des écarts dans l’estimation des PD, notamment sur les portefeuilles Retail (entre 5 et 10 %) et Corporate (environ 5 %). Ces écarts ont été mesurés à travers la réduction des écarts-types des PD observés sur ces portefeuilles. Cette amélioration résulte d’une harmonisation accrue des méthodologies internes grâce au projet TRIM (Targeted Review of Internal Models) de la BCE et aux lignes directrices de l’EBA. Les inspections et recommandations ont standardisé les approches d’évaluation, rendant les PD plus homogènes et fiables, renforçant ainsi la crédibilité des systèmes internes.

La variabilité résultante de la PD s'explique en partie par les différences entre les taux de défaut moyens, mais elle reste largement attribuable aux différences de calibrage, à l'utilisation de marges de prudence (MoC) et aux suppléments prudentiels. Le rapport quantifie que, pour certaines classes d'actifs, jusqu'à 30 % de la variabilité de la PD peut être attribuée aux MoC.

II. Variabilité persistante des LGD

Les tendances en matière de perte en cas de défaut (LGD) restent mitigées, avec une réduction modeste, voire inexistante, de la variabilité. Celle-ci demeure élevée avec des niveaux entre 20-30 % (Corporate) et 30-50 % (Retail). Afin d’illustrer ces tendances et ces défis méthodologiques, le graphique suivant présente l’évolution de la variabilité des LGD sur la période étudiée. Plusieurs causes sont identifiées : des politiques très variables en matière de garanties, des différences entre les systèmes juridiques nationaux sur l’insolvabilité et des marges de prudence appliquées par les banques pour gérer les faiblesses liées à l’estimation des paramètres de risque et susceptibles d’introduire des biais dans leur quantification. Bien qu’indispensables d’un point de vue prudentiel, ces marges amplifient les écarts méthodologiques et limitent la comparabilité directe des fonds propres.

Évolution de la variabilité des LGD (écart-type en %) par classe d'actifs entre 2015 et 2024 (Source : Rapport EBA 2024)

Graphique : Évolution de la variabilité des LGD (écart-type en %) par classe d'actifs entre 2015 et 2024 (Source : Rapport EBA 2024)

Ce graphique, extrait du rapport de benchmarking de l'EBA, montre que la variabilité des LGD est restée relativement constante ou a très légèrement diminué sur la période 2015-2024, notamment pour les classes d'actifs Corporate et Retail. À l'inverse, pour certains portefeuilles tels que les hypothèques et les institutions financières, une légère augmentation des écarts-types est observable sur la période récente. Cela met en évidence l'impact limité des mesures d'harmonisation sur ces catégories spécifiques, soulignant la nécessité d'une intervention ciblée pour traiter les sources de ces divergences méthodologiques.

III. Réduction des écarts sur les RWA et EAD

Le rapport indique une réduction globale de la variabilité des RWA, liée aux efforts d’harmonisation européens, surtout sur les portefeuilles Retail et Corporate. En revanche, pour les portefeuilles hypothécaires, d'institutions financières et souverains, la variabilité reste supérieure à 20 %. Le resserrement monétaire opéré par la BCE depuis 2022 a entraîné une hausse significative des taux d’intérêt directeurs. Cette politique monétaire restrictive, combiné aux tensions géopolitiques liées notamment à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique, accroît considérablement les incertitudes sur la qualité des portefeuilles de crédit. Ce contexte tendu rend toutefois l’harmonisation méthodologique plus complexe, renforçant ainsi l'importance de garantir la fiabilité et la comparabilité des modèles internes.

Par ailleurs, l’EAD sous approche IRB se stabilise autour de 50 %, principalement pour les crédits immobiliers et aux entreprises. Cette stabilité souligne la nécessité d'étendre l’harmonisation méthodologique à davantage de classes d'actifs pour assurer une meilleure couverture des risques, car les écarts constatés représentent une source significative de variation des exigences en fonds propres, impactant directement les coûts de financement des banques et leur capacité à gérer efficacement leur capital.

IV. Recommandations de l’EBA

Pour réduire durablement ces écarts, l’EBA propose de renforcer la transparence sur le calcul des marges de prudence par chaque banque et de favoriser davantage une harmonisation des pratiques de garanties et procédures de recouvrement à l’échelle européenne. Pour cela, il sera essentiel de documenter clairement les hypothèses liées aux MoC et de justifier leur niveau d'application pour faciliter la revue par le régulateur. Les équipes de modélisation devront identifier précisément les faiblesses méthodologiques et les déficiences des données pour améliorer les modèles internes. Enfin, standardiser davantage les processus d’évaluation des garanties et améliorer la documentation des procédures de recouvrement favorisera la diffusion des bonnes pratiques à travers les établissements européens. Ces recommandations, mises en œuvre efficacement, permettront d’accroître la comparabilité des fonds propres requis et de renforcer la résilience du secteur bancaire.

Conclusion

Malgré des avancées importantes sur les PD et les RWA, la persistance des écarts méthodologiques pour les LGD nécessite encore des efforts. La réduction durable de cette variabilité est essentielle, afin de garantir la comparabilité des exigences en fonds propres et la solidité du système financier européen. Ainsi, l’enjeu majeur pour l’EBA sera de transformer ces recommandations en mesures concrètes pour éliminer définitivement ces divergences méthodologiques.

Référence

Source : European Banking Authority (EBA), March 2025. EBA Report results from the 2024 Credit Risk Benchmarking Exercise. EBA/REP/2025/13. [pdf]

Auteur

Alexandre LALOU Nexialog Consulting

Alexandre LALOU

Consultant Senior

BU Risk Model