Gestion des risques de biodiversité : l’éclairage du nouveau rapport de l’EIOPA pour les assureurs européens
La préservation de la biodiversité est devenue une préoccupation centrale pour les institutions financières, notamment pour les assureurs. Si la question climatique a longtemps été prioritaire, les risques liés à la perte de biodiversité occupent désormais une place importante dans les réflexions stratégiques du secteur. Le récent rapport de l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) publié le 30 juin 2025 à la suite d’une consultation publique clôturée en février 2025, apporte des recommandations concrètes et souligne l'importance économique et financière d'intégrer la biodiversité dans les pratiques des assureurs. Quelles sont les principales conclusions de ce rapport et comment le secteur assurantiel peut-il s'adapter efficacement à ce nouvel enjeu ? Nos experts biodiversité et assurance chez Nexialog décryptent ce rapport pour vous.
Un cadre réglementaire en évolution : la biodiversité devient une exigence pour les assureurs
Le cadre réglementaire européen de référence pour les assureurs, Solvabilité II, a récemment évolué avec la directive européenne de 2025 relative à la durabilité (Directive UE 2025/2).
Cette révision impose aux assureurs d'intégrer les risques liés à la durabilité ( environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans la gouvernance, les politiques d’investissement et les évaluations de solvabilité des compagnies d’assurance. L’Own Risk and Solvency Assessment (ORSA), démarche interne par laquelle les assureurs évaluent leurs risques futurs essentiel du pilier 2 de Solvabilité II à horizon 5 ans, doit désormais intégrer ces risques ESG, en particulier les risques de biodiversité en tenant compte de leur évolution à long terme.

La prise en compte de la biodiversité se justifie par son importance économique et son impact systémique potentiel. Plus de 50% du PIB mondial dépend directement des services écosystémiques tels que l’eau, la pollinisation ou la régulation climatique. Leur dégradation pourrait ainsi générer des pertes économiques massives. Le mandat confié à l’EIOPA pour analyser la gestion des risques de biodiversité marque donc un tournant dans l’intégration des enjeux environnementaux au sein de la régulation prudentielle.
État des lieux des pratiques des assureurs : les enseignements du rapport de l’EIOPA
Le rapport "Report on Biodiversity Risk Management by Insurers" par l’EIOPA constitue le premier exercice européen supervisé visant à cartographier les pratiques actuelles des assureurs pour identifier, mesurer et gérer les risques liés à la biodiversité dans le cadre de Solvabilité II.
L’enquête menée révèle que seulement 20% des assureurs mentionnent explicitement la biodiversité dans leur ORSA, proportion qui atteint 40% pour les grandes entreprises.
Les évaluations réalisées restent principalement qualitatives, axées sur les risques réputationnels, c’est-à-dire la crainte d’un impact négatif sur leur image en cas de pratiques nuisibles à la biodiversité, plutôt que sur les risques financiers matériels.
Actuellement, les assureurs privilégient l’analyse de leurs portefeuilles d’investissement en utilisant des outils tels que :
- ENCORE : évalue la dépendance des activités économiques aux services écosystémiques
- TNFD : Taskforce on Nature-related Financial Disclosures, qui propose un cadre pour la publication des risques liés à la nature
- WWF Biodiversity Risk Filters : aide à identifier les risques liés à la biodiversité dans les investissements.
Ces outils permettent aux assureurs d’identifier les secteurs économiques particulièrement vulnérables à la perte de biodiversité, tels que l’agriculture ou l’énergie. En revanche, les risques liés à la souscription, c'est-à-dire ceux directement liés aux contrats d'assurance proposés (comme la couverture des pertes économiques dues à la dégradation des écosystèmes), sont très peu intégrés, principalement en raison du manque d'outils adaptés et de données fiables.
Vers un renforcement concret des pratiques de gestion des risques biodiversité
La gestion des risques liés à la biodiversité rencontre plusieurs difficultés méthodologiques, notamment leur forte dépendance aux spécificités locales et régionales, ainsi que le manque de données fiables et exploitables.
L'EIOPA recommande donc d'engager dès maintenant des actions concrètes malgré ces limites actuelles, notamment en développant rapidement des méthodes pratiques et simples à appliquer en attendant des outils plus complets.
Parmi les axes d'action proposés figurent :
- Une meilleure collaboration entre autorités de régulation et décideurs politiques pour harmoniser les méthodes d'évaluation des risques biodiversité, partager les bonnes pratiques et ainsi faciliter leur adoption par les assureurs.
- Le développement d'approches permettant de prendre en compte conjointement les risques climatiques et les risques liés à la biodiversité, tout en reconnaissant que le climat a une portée globale, alors que les risques de biodiversité nécessitent une prise en compte locale précise en raison de leur forte dépendance aux contextes écologiques spécifiques.
- L'amélioration des compétences internes au sein des assureurs grâce à des échanges réguliers et structurés entre régulateurs, scientifiques et assureurs, permettant ainsi d’augmenter la compréhension opérationnelle et stratégique des enjeux liés à la biodiversité.
Concernant plus spécifiquement les scénarios fondés sur la nature, plusieurs initiatives récentes méritent d’être soulignées, car elles offrent des pistes concrètes pour mieux intégrer les risques liés à la biodiversité dans les outils de prospective assurantielle. Parmi elles :
- Le Nature Risk Profile, développé conjointement par la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) et le réseau NGFS (Network for Greening the Financial System), propose une première approche structurée pour évaluer la vulnérabilité des secteurs économiques à des chocs écologiques. Il s’agit d’identifier les chaînes de valeur les plus exposées à la dégradation des écosystèmes, afin de modéliser leur résilience face à différents scénarios de rupture environnementale.
- Le cadre Science-Based Targets for Nature (SBTN), permet aux entreprises de définir des trajectoires de réduction d’impact sur la nature, à l’instar de ce qui existe pour le climat. Ces trajectoires peuvent être utilisées comme point d’appui pour construire des scénarios prospectifs intégrant les limites planétaires et les risques d’effondrement de certains services écosystémiques.
Enfin, l’EIOPA recommande fortement aux assureurs de compléter les approches qualitatives actuelles par des analyses quantitatives en développant progressivement des scénarios, prenant en compte les particularités locales et les spécificités biologiques de chaque territoire ou secteur d’activité.
Le rapport de l’EIOPA marque donc une avancée significative pour la gestion des risques liés à la biodiversité dans le secteur assurantiel européen. Au-delà de la simple conformité réglementaire, les assureurs disposent désormais d’une occasion unique d’innover en créant des produits assurantiels spécifiques, comme les assurances paramétriques dédiées à la protection des écosystèmes, et en développant des partenariats concrets avec les autorités publiques et les acteurs privés locaux pour financer directement des initiatives de préservation et de restauration des milieux naturels. Les assureurs capables de transformer cette contrainte en levier de différenciation stratégique se positionneront non seulement comme leaders sur ces questions, mais contribueront aussi activement à une économie durable et respectueuse de l’environnement.